1/ Spectre de l’inflation : et si on prenait plus de hauteur… que les taux d’intérêt ?
Nourries par un effet court terme notamment liée à la remontée des matières premières, les anticipations d’inflation monopolisent ces dernières semaines les débats dans les salles de marchés. En apparence, la remontée des taux souverains, effet indirect de ces anticipations, semble fulgurante : +62% pour le 10 ans US depuis le début de l’année, soit une remontée de 0.92% à 1.48%. Le 10 ans allemand est quant à lui remonté de 48% à -0.29% sur la même période. A l’évidence, les observateurs s’inquiètent donc davantage de la rapidité du mouvement que du niveau absolu, puisque de tels niveaux continuent d’offrir aux Etats des conditions de financement très favorables… surtout si l’on jette un rapide coup d’œil du côté des taux réels (corrigés de l’inflation). Alors, la remontée des taux est-elle davantage un prétexte à des prises de bénéfice sur les actions qu’un réel motif d’inquiétude ? L’investisseur adepte de la prise de hauteur peut poser le problème de cette manière : en dépit de ce retour de volatilité de court terme, quelles valeurs sera-t-il souhaitable de détenir en portefeuille au cours des 5 prochaines années ? Le niveau absolu des taux offre-t-il réellement une alternative durable aux marchés actions ?

Evidemment, le potentiel de remontée des taux à moyen/long terme est supérieur aux Etats-Unis qu’en Europe (compte tenu des différences de politiques budgétaires plus importantes aux US et monétaires entre la Fed et la BCE). En d’autres termes, l’écart entre le 10 ans US (1.5%) et le 10 ans allemand (-0.29%) ne devrait pas se réduire dans les années qui viennent… des conditions qui pourraient à terme provoquer une nouvelle phase de domination du dollar face à l’euro. Alors que la parité EUR/USD se situe sur des niveaux de 1,20 aujourd’hui, cet élément doit être pris en compte par les investisseurs européens. A titre d’exemple, un retour à 1,05 de la parité EUR/USD valoriserait les investissements réalisés par des européens sur les actifs américains de près de 13% ! Et si le danger pour l’investisseur européen n’était pas de rester sur les sociétés américaines (certes chèrement valorisées, mais créatrices de valeur à long terme) mais d’en sortir sous l’effet de ce regain de volatilité ?

Par ailleurs, et comme le rappelle depuis longtemps l’économiste Pierre Sabatier, les agents économiques (que l’on parle des ménages, des entreprises ou même des Etats) ne peuvent encaisser une remontée des taux trop importante. La reprise économique s’en trouverait inéluctablement menacée. Précurseur depuis plus de 20 ans sur les mesures de soutien monétaire non conventionnelles, le Japon n’a jamais atteint ses cibles d’inflations depuis un quart de siècle. Premier à subir les effets du vieillissement de la population, le pays du Soleil Levant est toujours intéressant à analyser lorsque l’on construit ses prévisions sur la zone Euro…

En conclusion, parier sur une poursuite durable du mouvement revient donc à anticiper une erreur de pilotage des banques centrales ces prochains mois… Un exercice bien périlleux quand on observe l’efficacité de leurs actions pendant cette si particulière année 2020… Justement que nous disent les banquiers centraux à ce sujet ?

2/ Fed et BCE, une stratégie claire :
Malgré les quelques dissensions habituelles au sein de la BCE, la stratégie des banquiers centraux de part et d’autre de l’Atlantique semble limpide : contenir via leur communication la hausse des taux d’intérêt. Comme évoqué précédemment, ces institutions qui auront joué un rôle primordial dans la gestion économique de la crise sanitaire veulent éviter un durcissement prématuré des conditions de financements des états et entreprises. Le vice-président de la BCE Luis De Guindos se dit ainsi prêt à intensifier les achats de dettes souveraines à court terme si la situation le nécessitait… voire d’augmenter l’enveloppe totale de ces achats. Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE a également plaidé pour un maintien des conditions de financement favorables, arguant justement que le contexte économique « ne permettait pas un durcissement des conditions financières ». Limpide. Bien sûr, les observateurs habitués au fonctionnement des institutions européennes auraient préféré que ces déclarations sortent de la bouche d’un représentant des pays « frugaux ». Si les représentants de l’Allemagne restent comme à l’accoutumée prudents sur le sujet de l’inflation, ont-ils intérêt à ce que les conditions de financement se durcissent chez leurs partenaires commerciaux, en particulier ceux de la zone Euro ? Rien n’est moins sûr…

3/ Pendant ce temps, outre-Atlantique…
Comme souvent le mouvement des taux souverains est parti des Etats-Unis. Comme l’ont confirmé L. Brainard et M. Daly, la patience reste de mise… Nous évoquions justement la semaine passée la stratégie très prudente défendue par Jerome Powell devant le sénat. M. Daly a justement insisté sur le chemin qui reste à parcourir pour que l’inflation et la santé du marché de l’emploi ne justifie un durcissement des conditions financières. Le dernier rapport ADP fait justement état de seulement 117 000 créations dans le secteur privé en février, soit une modeste décélération par rapport à janvier (194 000). Une décélération d’autant plus surprenante qu’elle intervient après une vague d’assouplissement des restrictions sanitaires locales. A l’évidence, les créations d’emplois marquent le pas dans les très grandes entreprises. Rappelons que le retour à l’emploi fait désormais partie intégrante de la vision stratégique de la Fed… Parmi les mesures envisagées pour soutenir le retour aux niveaux de chômage d’avant Covid-19, un vaste plan d’investissement dans les infrastructures voulu par Joe Biden pourrait être prochainement étudié par le sénat américain, une fois que celui-ci aura fini d’étudier le plan tant attendu de 1 900 milliards de dollars… Des conditions de financement les plus favorables possibles seraient là aussi souhaitables…

 

Sources : WiseAM, Les Echos, Goldwasser Exchange, La Tribune, Allnews, BFM Bourse, Capital, La Croix
Crédits images : Gettyimages
Achevé de rédiger le 04/03/2021