1/ L’Empire… toujours à l’attaque !
Grande gagnante de la mondialisation des 40 dernières années, la Chine a dans un passé plus récent marqué l’esprit des observateurs par sa capacité à tirer parti de la crise sanitaire. L’Empire du Milieu a ainsi accéléré ses gains de parts de marché dans nombre de secteurs économiques ces derniers mois… au point de ressortir comme le vainqueur par KO de la crise économique ! Comme un symbole, les importations européennes depuis la Chine dépassent désormais 36 milliards d’euros par mois… quand elles n’atteignaient « que » 31 milliards par mois avant la crise sanitaire. Matériel sanitaire, masques… mais également secteurs de l’informatique et de l’électronique : les gains de parts de marché sont partout ! Pour autant, le retour en force de l’autoritarisme chinois a pu jeter l’opprobre sur l’attractivité nouvelle dont les marchés nationaux (actions comme dette locale) bénéficient encore il y a quelques mois dans l’esprit des investisseurs. Quelle mouche a-t-elle donc piqué Xi Jinping ? Assiste-t-on réellement à un virage stratégique majeur ? La réalité semble bien plus nuancée.

Si les dernières mesures ont tant défrayé la chronique, elles semblent finalement répondre à des objectifs affichés de longue date : augmenter la part du consommateur chinois dans le PIB national (en d’autres termes, dépendre de moins en moins des exportations mais surtout rapprocher le PIB moyen par habitant des standards occidentaux), assurer la stabilité financière (conjurer le risque d’une bulle immobilière et les effets pervers du « shadow banking »)… et faire remonter le taux de fécondité ! Dernier point crucial tant il permet de comprendre les décisions visant à limiter le coût de l’éducation… Les mesures prises à l’encontre d’Alibaba répondent quant à elles à un autre objectif central dans l’esprit du pouvoir chinois : la sécurité nationale, à l’heure où la maîtrise des « data » prend autant d’importance dans nos sociétés contemporaines. Les restrictions récentes ne doivent donc pas être lues comme un virage idéologique (retour au communisme pur) mais comme une poursuite de la stratégie à long terme, répondant à de multiples objectifs : corriger les excès du passé, réduire les risques liés aux positions dominantes (contrôle du pouvoir et favoriser l’émergence de plusieurs acteurs, notamment dans la tech) et assurer la stabilité sociale. Si les éditoriaux financiers ont tôt fait de conclure à une fin du droit de propriété en Chine et à un retour du communisme pur, la vision économique de Xi Jinping reste pourtant limpide… et totalement incompatible à long terme avec ce virage idéologique que tant d’analystes semblent craindre. L’un des points cruciaux de son plan économique reste en effet la crédibilisation du Renminbi comme devise de référence, à minima sur le marché asiatique. Une stratégie qui va de pair avec la capacité du pays à attirer des capitaux étrangers sur son marché…

 

2/ Une guerre commerciale aux multiples facettes
Ce billet hebdomadaire fut souvent l’occasion de commenter la guerre commerciale opposant les deux plus grandes puissances que sont la Chine et les Etats-Unis sur les secteurs d’avenir à forte valeur ajoutée. Compte tenu du retard considérable pris par le Vieux Continent dans ce domaine, les européens pouvaient se consoler en se disant qu’ils n’étaient finalement pas inquiétés outre mesure par ce risque… puisqu’ils n’ont pas grand-chose à défendre sur ce segment ! C’est évidemment oublier un peu vite que nos concurrents chinois n’ont pas délaissé l’industrie pour autant… et que la guerre commerciale n’est pas que technologique ! Selon la dernière étude conjoncturelle d’Euler-Hermès, nos amis d’outre-Rhin seraient d’ailleurs les plus menacés par la montée en puissance économique de l’Empire du Milieu. Chinois et Allemands se livrent en effet une guerre industrielle sans merci car spécialisés sur nombre de secteurs communs. L’automobile en est un parfait exemple. Toujours selon les économistes d’Euler-Hermès, « il est tout à fait envisageable qu’une partie de l’outil productif allemand devienne obsolète en quelques années, d’autant que les normes vont changer avec la lutte contre le réchauffement climatique. Or, la Chine investit massivement dans les segments d’excellence de l’Allemagne, dans le passage de l’automobile à l’électrique par exemple ». La France, qui a déjà enregistrée d’importantes pertes de parts de marché sur la dernière décennie dans des secteurs aussi cruciaux que l’aéronautique, les produits pharmaceutiques ou encore les équipements électriques peut au moins se rassurer dans le domaine automobile : au premier semestre 2021, la part des véhicules français dans les ventes constatées en Chine n’était que de 0.4%… contre 23% pour les véhicules allemands ! Inutile de préciser que la montée en gamme des produits chinois pourrait à moyen/long terme détériorer grandement la balance commerciale allemande, pourtant portée aux nues depuis plusieurs décennies… D’autant que l’émergence de la Chine comme exportateur mondial de véhicules électriques pourrait engendrer des pertes de parts de marché encore plus importantes, à l’instar de ce qui a pu se passer sur les exportations de technologie d’énergie renouvelable. On retrouve même cette volonté de prendre le leadership (au détriment de la France) des énergies dites « propres » dans un ambitieux programme nucléaire qui permettra à la Chine de résoudre l’épineux problème de la gestion des déchets nucléaires !
La tendance de fonds ne fait que s’accélérer. De 2011 à 2019, l’Allemagne a profité d’une forte dynamique de la croissance mondiale, notamment dans le secteur des véhicules et des machines et équipements électriques. Deux secteurs pesant jusqu’à 25% des exportations allemandes sur la période ! Ces secteurs sont désormais largement menacés par une part croissante des exportations de la Chine… A suivre !

 

3/ Le plus gros gestionnaire d’actifs mise toujours sur la Chine
Les diatribes de l’inénarrable George Soros à l’égard des intérêts de Blackrock en Chine sont venues rappeler le virage stratégique pris par la société de gestion la plus importante au monde à l’égard de l’Empire du Milieu. Dans une tribune plus que vindicative publiée dans le « Wall Street Journal », George Soros a ainsi qualifié « d’erreur tragique » (comprendre une trahison envers les intérêts américains) l’investissement d’une partie croissante de l’argent de ses clients en Chine… oubliant un peu vite qu’il détenait encore il y a peu des titres comme Tencent Baidu ou Alibaba dans un passé récent. Le groupe américain a lancé cet été ses premiers produits destinés aux épargnants chinois. Le succès fut au rendez-vous, puisque la société de gestion a annoncé avoir collecté plus de 6,7 milliards de Yuans, soit 880 millions d’euros, sur le premier fonds ! Blackrock n’en est pas à son coup d’essai sur le marché local puisque la société est implantée depuis 15 ans dans le pays… et peut s’enorgueillir d’être le premier groupe étranger autorisé à créer une société de gestion « locale » sans partenaire chinois à son capital. Les analystes de Blackrock ne considèrent plus (à juste titre ?) le pays comme un acteur émergent et misent à l’évidence sur un poids croissant des actifs chinois dans les indices boursiers mondiaux…

 

Sources : WiseAM, Les Echos, Capital, Le Monde, Euler Hermes, La Tribune, France Info, La Croix, Sputnik News, L’Agefi
Crédits images : Gettyimages
Achevé de rédiger le 16/09/2021